
Marine
L'Océan sonore
Palpite sous l'oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,
Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
Paul Verlaine

Art poétique
De la musique avant toute
chose,
Et pour cela préfère l'Impair,
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles
point
Choisir tes mots sans quelque méprise ;
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière
des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance
encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Paul Verlaine

Impression fausse
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
Paul
Verlaine

Il pleure dans mon coeur
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
Paul Verlaine (1844-1896)
Romances sans paroles

Le ciel est par-dessus le toit
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul Verlaine (1844-1896)
Sagesse

Elle
serait là, si lourde
Avec
son ventre de fer
Et
ses volants de laiton
Ses
tubes d'eau et de fièvre
Elle
courrait sur ses rails
Comme
la mort à la guerre
Comme
l'ombre dans les yeux
Il
y a tant de travail
Tant
et tant de coups de lime
Tant
de peine et de douleurs
Tant,
de colère et d'ardeur
Et
il y à tant d'années
Tant
de visions entassées
De
volonté ramassée
De
blessures et d'orgueils
Métal
arraché au sol ,
Martyrisé
par la flamme
Plié,
tourmenté, crevé
Tordu
en forme de rêve
Il
y a la sueur des âges
Enfermée
dans cette cage
Dix
et cent mille ans d'attente
Et
de gaucherie vaincue
S'il
restait un oiseau
Et
une locomotive
Et
moi seul dans le désert
Avec
l'oiseau et le chose
E
t si l'on disait choisis
Que
ferais-je, que ferais-je
Il
aurait un bec menu
Comme
il sied aux conirostres
Deux
looutons brillants aux yeux
Un
petit ventre dodu
je
le tiendrais dans ma main
Et
son coeur battrait si vite...
Tout
autour, la fin du monde
En
deux cent douze épisodes
Il
aurait des plumes grises
Un
peu de rouille au bréchet
Et
ses fines pattes sèches
Aiguilles
gainées de peau
Allons,
que garderez-vous
Car
il faut que tout périsse
Mais
pour vos lovaux services
On
vous laisse conserver
Un
unique échantillon
Comotive
ou zoisillon
Tout
reprendre à son début
Tous
ces lourds secrets perdus
Toute
science abattue
Si
je laisse la machine
Mais
ses plumes sont si fines
Et
son coeur battrait si vite
Que
je garderais l'oiseau.
Boris
Vian

Poisson
d'avril
Un
poisson d'avril
Est
venu me raconter
Qu'on
lui avait pris
Sa
jolie corde à sauter
C'était
un cheval
Qui
l'emportait sur son coeur
Le
long du canal
Où
valsaient les remorqueurs
Et
alors
Un
serpent
S'est
offert comme remplaçant
Le
poisson Très content
Est
parti à travers champs
Il
saute si haut
Qu'il
s'est envolé dans l'air
Il
saute si haut
BORIS
VIAN
Terre-Lune
Terre Lune, Terre Lune
Ce soir j'ai mis mes ailes d'or
Dans le ciel comme un météore
Je pars
Terre Lune, Terre Lune
J'ai quitté ma vieille atmosphère
J'ai laissé les morts et les guerres
Au revoir
Dans le ciel piqué de planètes
Tout seul sur une lune vide
Je rirai du monde stupide
Et des hommes qui font les bêtes
Terre Lune, Terre Lune
Adieu ma ville, adieu mon cour
Globe tout perclus de douleurs
Bonsoir.
Boris Vian

LA
POMME ET L'ESCARGOT
Il
y avait une pomme
A
la cime d'un pommier;
Un
grand coup de vent d'automne
La
fit tomber sur le pré.
-
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal
J'ai
le menton en marmelade,
Le
nez fendu et l'oeil poché
Elle
roula, quel dommage
Sur
un petit escargot
Qui
s'en allait au village
Sa
demeure sur le dos.
-
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal ?
J'ai
le menton en marmelade
Le
nez fendu et l'oeil poché.
Ah
! stupide créature,
Gémit
l'animal cornu,
T'as
défoncé ma toiture
Et
me voici faible et nu.
-
Pomme, pomme, etc.
Dans
la pomme à demi blette
L'escargot,
comme un gros ver,
Rongea,
creusa sa chambrette,
Afin
d'y passer l'hiver.
-Pomme,
pomme, etc.
Ah!
mange-moi, dit la pomme,
Puisque
c'est là mon destin
Par
testament je te nomme
Héritier
de mes pépins.
-Pomme,
pomme, etc.
Tu
les mettras dans la terre
Vers
le mois de février,
Il
en sortira, j'espère,
De
jolis petits pommiers.
Charles Vildrac

UN ENFANT VEUT RÉPONDRE
Un enfant veut répondre
Il a levé le doigt
Dans une vieille école
Qui n'existe plus.
La neige a fondu sous les bancs
Il fait chaud comme à l'écurie
Et l'instituteur
A souligné tous les verbes à la craie bleue.
L'enfant qui veut répondre
Fait claquer ses doigts
Tachés d'encre violette
Dans la vieille école
Qui n'existe plus.
PAUL VINCENSINI
Le point mort, Ed. Guy chambelland

HIVER
Le
vent d'hiver dérange tout
Les Poisseaux
Les Oisons
La rivière dans les arbres
Le froid fait peur à tout le monde
Mais au coeur de la pierre
Il fait chaud
Et on entend une musique
PAUL VINCENSINI
cité dans Le Coffret à poèmes,
Ed. St-Germain-des-Prés

AMITIE
Ce
qui est beau, c'est un visage
Ce
qui est beau, c'est l'amitié
Une
robe qui s'en va un peu plus loin et volage
Laisse
autour d'elle les oiseaux gazouiller.
Ce
qui est beau, c'est le passage
De
la brume à l'aurore et du cep au raisin
Ce
qui est beau, c'est le ramage
Car
tout ce qui vit sur la terre est du bien.
Ce
qui est beau, c'est tout le monde
Ce
qui est beau, c'est les filets
Du
pêcheur qui s'en va près des rives profondes
Cueillir
la sardine et le nacre des fées.
Ce
qui est beau, c'est comme une onde
La
marche en avant de l'homme et l'été
Qui
revient tous les jours car toujours il triomphe.
Ce
qui est beau, c'est l'amitié.
Jean-Pierre
Voidiès

Le cirque
Zim! Zim! Zim!
Cymbale sonne et l'on se grime
Le funambule fait la "gym"
Pour s'échauffer, car ça commence
L'éléphanteau entre en sa danse
Et le lionceau fait révérence
Mais il voudrait bien une lime
Pour ses barreaux - terrible engeance
Zim! Zim! Zim
!
Le trapéziste est dans les cimes
Trapèze fin, tu te balances
Jongleurs, lancez bien en cadence
Tous vos ballons prenant semblance
D'un grand soleil - Que l'on s'escrime !
Et que l'on rie quand le clown mime !
Et qu'on écoute sa romance !
Zim! Zim! Zim
!
Jean-Pierre
Voidies